Questions à Dominique Perrault ou questions pour une exposition
Pour un artiste, exposer est une étape essentielle dans sa trajectoire. En va-t-il de même pour un architecte?
C’est très différent, en ce sens que pour un architecte, l’exposition n’est ni une étape, ni une sanction, ni un passage obligé. Disons que pour un architecte, l’exposition oblige à fixer le passé et à organiser le futur. Ce qui est intéressant pour moi, c’est que le Centre Pompidou, qui a souhaité programmer cette exposition, n’a pas voulu qu’elle soit un début de parcours, pas plus qu’une rétrospective. Mais plutôt un arrêt sur image en cours de route.
Comment l’avez-vous conçue: comme un parcours chronologique ; comme une promenade d’un bâtiment à l’autre, d’un pays à l’autre; comme un manifeste; comme une histoire…?
Rien de tout cela en vérité. Frédéric Migayrou, commissaire de l’exposition, a souhaité présenter un état des lieux plutôt qu’un parcours, qu’une promenade ou qu’un manifeste. En réalité, ici, le propos est bien plus dialectique que narratif. Et, au fond, cette volonté dialectique est exprimée dès le début de l’exposition par la mise en perspective de la Bibliothèque nationale de France et le Mariinsky II à Saint-Pétersbourg. Voilà plus de dix ans que la Bibliothèque a occulté tout le travail produit par l’agence en France comme à l’étranger. Dans la scénographie de l’exposition, la Bibliothèque nationale de France intervient en exergue, comme une phrase en épigraphe à la première page d’un livre. Certes, la phrase éclaire la démarche de l’auteur, mais elle ne doit pas occulter l’ensemble du texte. En outre, cette mise en perspective de la Bibliothèque et du Théâtre témoigne également de notre volonté de ne pas nous limiter à des coquetteries d’écriture univoque.
Quant à la chronologie, elle ne se limite pas à 1997. Le foisonnement de dates qui ponctue l’exposition en témoigne.
Une exposition induit néanmoins un parcours. Aussi éclaté, voire illogique, soit-il, comment l’avez-vous organisé ?
D’abord le lieu dans l’ensemble Pompidou : il est ouvert sur trois faces sur la rue. Je voulais donc que, même depuis l’extérieur, on puisse prendre la mesure des choses. Ensuite, l’intérieur : là, il n’y a pas de logique de parcours, mais une logique de lieu. Comme il s’agit d’un espace spécifique, et qu’il s’agit d’y pénétrer, j’ai voulu créer une sorte de vestibule, un filtre en quelque sorte. Le visiteur circule entre les lés de tissages métalliques qui sont essentiels dans mon architecture. Qui ne sont en rien des murs impénétrables, séparateurs, autoritaires. Mais qui créent, au contraire, la perméabilité, l’interrelation. Ainsi, d’emblée s’annule l’espace clos au profit d’un passage, d’une traversée.
On retrouve cette même maille métallique, ce même dispositif qui m’a permis de scinder le mur du fond en neuf sections où sont projetés 13 films réalisés par Richard Copans à propos de 13 réalisations. Manière de découvrir la vraie architecture, telle qu’elle se vit sur les chantiers et telle qu’elle est vécue par les utilisateurs. En outre, ce mur du fond, long de 32 mètres, et les neuf écrans mesurant chacun 3x2 mètres sont parfaitement perceptibles depuis l’extérieur puisque l’ensemble de l’exposition est scénographié à très faible hauteur.
Quelle est l’essence de cette scénographie ?
Elle s’articule sur quatre éléments essentiels. La maille métallique et les écrans dont je viens de vous parler. À ces deux éléments s’ajoute un dispositif de grandes tables basses réparties en quinconce sur tout l’espace de la galerie.
Sur ces tables basses cohabitent dessins, maquettes et matières ainsi que des écrans diffusant, cette fois-ci, des films de synthèse. D’une table à l’autre, il peut s’agir d’un seul projet ou de plusieurs regroupés par stratégie, concept ou dispositif ou, au contraire, par contraste. Une fois encore, ces ensembles ne répondent ni à un déroulé chronologique ni à une parenté formelle, mais à ce que j’appelle une logique relationnelle.
S’y ajoutent également, posés sur chaque table basse, 20 grands caissons lumineux (1x1 m.) double face qui présentent les sites en question, de telle façon que le visiteur en saisisse la situation urbaine, le contexte naturel, la réalité géographique.
Et j’insiste, si tout est parfaitement daté pour bien marquer la relation avec le temps, il ne s’agit en aucun cas d’un parcours chronologique.
Quels sont à votre avis, les points marquants, les moments forts de l’exposition ?
Bien sûr, dès l’entrée, la confrontation entre la Bibliothèque nationale de France et le Mariinsky II en est un. Certains y verront l’opposition entre la rigueur pure et une certaine forme de baroque. Tout au long de la visite, on rencontre d’autres oppositions, d’autres confrontations, d’autres affrontements. Mais les choses ne sont jamais aussi simples ou aussi marquantes qu’on le pense. Il s’agit là d’une relation dialectique à l’architecture, à son sens, à sa symbolique et à sa réalité. À sa nature qui est d’opérer l’incessante transformation des territoires, de modifier la substance urbaine, de brouiller la perception. Une manière de signifier que la dimension géographique de l’architecture a, dorénavant, pris le pas sur sa dimension historique.
Par ailleurs, cette succession de confrontations est l’occasion d’affirmer que l’écriture architecturale n’est pas nécessairement univoque. Que le rôle d’un architecte n’est pas d’imprimer sa marque, d’imposer son style, mais de prendre en compte chaque situation dans sa spécificité et sa complexité. D’où cette volonté d’exposer une logique conceptuelle plutôt qu’esthétique.
Plus encore qu’un état des lieux, cette exposition est pour vous l’occasion d’exprimer un système de pensée, un mode de fonctionnement, une manière de travailler ?
À l’agence, nous n’établissons aucune hiérarchie entre les registres, les disciplines, les matières… Tout fonctionne en simultané, en instantané. Nous savons que les temps de réalisation de l’architecture sont longs et que sa durée de vie se projette loin dans le temps, mais la rapidité est notre moteur pour la conception. Nous sommes toujours en mouvement, en état de recherche et d’expérimentation permanent. Et ceci, que les thèmes soient latents ou patents. Il n’y a ni commencement ni fin à notre action, à nos actions. Au fond, ce que nous tentons d’exprimer à travers cette exposition, c’est que l’architecture n’est ni un objet, ni une collection d’objets, mais une substance. Et que cette substance, nous la définissons, l’atteignons au moyen d’outils qui sont le cœur et le corps mêmes de cette exposition.
En effet, plutôt que de belles images ou de beaux objets, que de photos ou de maquettes spectaculaires, nous avons choisi d’exposer, de donner à voir et à comprendre ce que sont les outils et les moyens qui composent notre quotidien. D’atteindre à l’essence même de la conception architecturale et urbaine. Du moins, telle que nous la pratiquons.
« Dominique Perrault Architecture »
Galerie Sud, Centre Pompidou, Paris
11 juin – 22 septembre 2008