AV - La pirámide invisible
Pavillon Dufour, Versailles
Michèle Champenois
Arquitectura Viva 190, Décembre 2016.
"La pyramide invisible"
Vingt ans après l’ouverture de la Bibliothèque nationale de France voulue par François Mitterrand, à Paris, sur les bords de la Seine, l’architecte Dominique Perrault a livré en 2016, au château de Versailles, le pavillon Dufour transformé de fond en comble pour l’accueil du public, avec un restaurant, un auditorium, ainsi que des espaces nouveaux conquis sous la cour des Princes. Trois ans de chantier complexe, une belle réussite qui ne se laisse deviner à l’extérieur que par un escalier de sortie, en fin de parcours, « l’escalier Perrault ».
Cette transformation radicale et « amicale à l’égard du patrimoine » selon les mots de l’architecte, offre aux visiteurs une introduction aux fastes du palais. Elle se fait par un espace majestueux et moderne, dans un halo de lumière dorée, dont les aménagements intérieurs sont dus à la designer Gaëlle Lauriot-Prévost, directrice artistique de l’agence DPA et partenaire de longue date (1).
Confronté pour la première fois à un monument historique majeur, l’architecte a réussi son pari : régler de l’intérieur les problèmes posés, consolider et restaurer l’aile ancienne, en accord avec Frédéric Didier, l’architecte en chef des monuments historiques en charge du domaine. Il offre ainsi aux visiteurs du château et du domaine un accueil généreux et un parcours intelligible dans ce haut lieu de l’histoire de France qui attire chaque année 7,5 millions de personnes, des étrangers pour les trois-quarts.
Si l’on voulait évoquer le précédent du Louvre et l’intervention de I.M. Pei dans les années 1980, on pourrait avancer que Versailles a gagné ce que l’architecte appelle une « pièce non datée », qui s’insère dans l’ensemble patrimonial et qui est, en quelque sorte, une « pyramide invisible ». Ou presque. Dans la mesure où le seul élément architectural visible est un volume vitré qui accompagne l’escalier Perrault, et par un effet de prisme, piège la lumière naturelle pour la distribuer en sous-sol.
L’intelligence du site
Quand Dominique Perrault a gagné, en 1989, le concours international pour la Bibliothèque nationale de France, il n’avait que 36 ans. Et un site vierge à conquérir, à créer et à inventer. Depuis l’ouverture de la BNF en 1996, un quartier nouveau s’est bâti, donnant à l’Est de Paris une configuration citadine. Là où s’élèvent les tours de la BNF, il n’y avait rien. A Versailles, dans le domaine royal du parc, du château, des musées et des Trianons, il y a tout. Tout ce qui, du milieu du 17e siècle sous le règne de Louis XIV jusqu’au début du 19e siècle avec Louis-Philippe, a contribué à former un ensemble cohérent dédié, selon la formule qui règne au fronton du pavillon Dufour, « à toutes les gloires de la France ». Mais la préoccupation de l’architecte est la même, comprendre un site bâti, en restituer « la substance patrimoniale ».
L’unité architecturale et paysagère du domaine a été confortée au fil du temps et la République n’a pas manqué d’honorer le patrimoine légué par la monarchie pour en faire un monument national vénéré et respecté. Un lieu de réception aussi dans les grands moments de la diplomatie internationale.
« Recevoir » c’est la vocation de Versailles, depuis l’époque du Roi-Soleil. Tel qu’il s’offre côté ville, le plan en fer à cheval du château est, en soi, une invitation à entrer et il conduit vers l’espace plus intime de la cour de Marbre. Ce dispositif est accentué par deux pavillons symétriques, dessinés par Ange Jacques Gabriel à la fin du XVIIIe siècle : celui du nord, édifié en 1771, porte le nom de son architecte, qui est aussi l’auteur des bâtiments qui bordent la place de la Concorde à Paris ; celui du sud a été bâti par Alexandre Dufour, au début du XIXe siècle, à partir de 1814, selon les plans de Gabriel.
Au cœur de l’imbroglio monumental qui se cache derrière les façades classiques et les dispositifs symétriques, l’approche architecturale de Perrault a été celle d’un explorateur du site : comprendre le bâti, creuser l’histoire du monument, au propre et au figuré, aller jusqu’aux fondations, inventer des espaces souterrains nouveaux, et magnifier les bâtiments existants. Il a considéré comme une chance et comme un atout l’aménagement possible de ce qu’il appelle, ici et là, « Groundspaces ». Ce terme qu’il a forgé est aussi le titre d’un livre qui vient de paraître (2) et qui explicite une démarche utilisée à l’Université féminine à Séoul, à la Cour de Justice de l’Union européenne à Luxembourg, ou pour le projet non réalisé du théâtre Marinsky à Saint-Pétersbourg.
L’ouverture du hall de réception dès le printemps 2016, l’inauguration du pavillon en juin par François Hollande, président de la République, puis, en septembre, la livraison complète de l’édifice et du restaurant confié au chef multi-étoilé Alain Ducass, ont permis de constater la pertinence du projet : offrir des services – accueil, restauration, boutique et auditorium – tout en réhabilitant l’architecture classique, la symétrie du dispositif monumental ; assurer la fluidité de l’accès et de la visite du domaine pour des millions de visiteurs dont beaucoup viennent pour la première fois.
Seul concurrent à ne pas créer une nouvelle façade, alors que le règlement du concours de 2011 l’y autorisait, l’architecte a gagné son pari : la quasi-disparition d’une intervention pourtant majeure dans le domaine royal, la mise en valeur des symétries, et l’adaptation à des foules de visiteurs, sans toucher aux lignes du dispositif monumental. Perrault s’est concentré sur une nouvelle logique des espaces intérieurs, en démêlant le puzzle des circulations, en abattant des cloisons de toutes époques dont une grosse structure en béton ajoutée dans les années 1930, en supprimant le cloisonnement des combles, transformés en bureaux dans les années 1990. De son côté, Frédéric Didier, architecte en chef des monuments historiques, a assuré la restauration des façades et des toitures, des salles voûtées sous la cour des Princes, ainsi que la restitution du vestibule de pierre logé en façade du pavillon. Ensemble, ils ont conservé les exèdres d’une ancienne salle et même un escalier caché. La découverte d’un soubassement de mur ancien et la révélation dans toute leur ampleur des pièces voûtées, d’anciennes citernes, qui accueillent une boutique-librairie en fin de parcours.
« Versailles était devenu trop petit », constate Dominique Perrault. Trop petit et trop compliqué, avec six entrées possibles pour les visiteurs. Désormais, les groupes continuent d’être accueillis dans le pavillon Gabriel, les individuels et les familles passent toutes par le pavillon Dufour.
Si la discrétion patrimoniale est de mise à l’extérieur, la plus grande liberté a été donnée à Gaëlle Lauriot-Prévost et à sa vivacité créative pour aménager l’intérieur : sa maîtrise de la maille métallique tissée, la diversité des luminaires qui ornent les salons du restaurant ou l’escalier dont les parois sont couvertes de métal, le confort visuel et acoustique de l’auditorium logé dans les combles … Tous les éléments d’un décor cohérent et inventif sont réunis pour que l’art contemporain, une œuvre du plasticien Claude Rutault, trouve sa place dans l’histoire du lieu.
Autrefois occupé par les bureaux des conservateurs, cette aile du Midi et son pavillon, ont été entièrement libérés par l’administration du domaine qui est confortablement installée dans ce qu’on appelle « Le Grand Commun », dans une rue voisine du château. Un ambitieux schéma directeur a été établi en 2003, et les administrateurs successifs, Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture, puis Catherine Pégard, nommée en 2011 présidente de l’Etablissement public du château, musée et domaine national de Versailles, et dont le mandat vient d’être prolongé de trois ans, ont à cœur de le mettre en œuvre. La sécurité bien sûr, mais aussi le confort de la visite sont à ce prix. Pour ces voyageurs venus de loin, le souvenir qu’ils auront de leur venue à Versailles mérite la plus grande attention.
Accueil « royal », à la mesure des symboles charriés par l’histoire de France et par le prestige du monarque fondateur : dès l’entrée, un bain de lumière dorée enveloppe les visiteurs. Maîtrisant la scénographie, le design rigoureux de Gaëlle Lauriot-Prévost ne craint pas de dialoguer avec l’imaginaire baroque. Les plissés, les drapés, les soleils et leurs reflets, peuvent se traduire en langage d’aujourd’hui sans perdre de leur puissance. Le halo de lumière dorée devient métaphore.
Inscrire « le présent dans le passé », selon la formule de Victor Hugo : une prescription que rappelle volontiers Catherine Pégard, présidente du château et du domaine de Versailles. Affirmer l’architecture contemporaine, tout en menant « un travail sensible, complice et aimant à l’égard du patrimoine de la France », c’est la règle de conduite de Dominique Perrault et de Gaëlle Lauriot-Prévost.
Sous un dais de tissu métallique, dont le drapé irrégulier habille par vagues le haut plafond, les appareils d’éclairage sont fixés sur des perches horizontales. Autour des projecteurs, un dispositif ébouriffé de pétales de métal doré - de l’aluminium anodisé « grand brillant » – multiplie, par ricochets, une source lumineuse puissante et envoie des images par réflexion. L’unité du plafond – sous certains angles les grandes vagues semblent se calmer - est obtenue par le choix du matériau : un pan de maille métallique qui descend en tapisserie, tel un rideau de scène sur le mur du fond ; les comptoirs d’accueil sont neutralisés par leur volume et leur couleur – le noir ; le sol lui-même est couvert de métal. C’est un parquet «Versailles » selon le motif classique en losanges qui porte ce nom, composé de lames de métal anthracite laminées à chaud, ce qui leur donne des irisures bleutées.
Au premier étage, dans le restaurant « Ore », confié au chef étoilé Alain Ducasse. Le décor est confortable et sobre : les lambris classés sont mis en valeur. Les plafonniers jouent à dessiner des soleils, à partir de tubes lumineux fixés sur un ou plusieurs supports circulaires. Le bar est éclairé par des tubes semblables, tombant en stalactites au-dessus du comptoir. Une collerette de maille dorée et plissée leur sert d’abat-jour et fait scintiller la lumière de façon féérique.
Ouvert dès le matin pour des petits déjeuners gourmands et des déjeuners à prix abordable, le restaurant qui bénéficie d’une vue magique sur la cour d’honneur propose le soir des dîners d’apparat pour une clientèle aisée. Le chef nommé par Alain Ducasse puise dans l’histoire de la table, dont Versailles a été l’une des étapes importantes pour attiser la curiosité gustative de ses contemporains.
Au dernier étage, l’auditorium de 150 places se glisse dans l’espace sous les combles. Une structure de tasseaux de bois disposés à l’horizontale règle l’acoustique et constitue une coque, indépendante du bâti de pierre. L’ambiance intime de ce bateau immobile est accentuée par son aspect simple et reposant.
Dans l’escalier, on retrouve les tubes lumineux, tenus à l’horizontale, sur un dispositif de câbles tendus par des ridoirs et formant séparation entre les volées de marches. Quel que soit leur itinéraire dans le domaine, tous les visiteurs terminent leur parcours par les espaces voûtés des anciennes cuisines, où la boutique s’inscrit délicatement dans l’architecture existante, magnifiée par la lumière.
Prenant le chemin de la sortie, ils sont accompagnés, encore un peu, par cette lumière cuivrée qui les a accueillis quelques heures plus tôt : un volume vitré dont les parois en aluminium anodisé doré mat réfléchissent un éclairage doux. Un mur de lumière, encore une fois… Mais aussi la signature symbolique d’une attitude réfléchie de réconciliation douce d’une architecture éminemment contemporaine avec le patrimoine.
Michèle Champenois
(1) GLP Design /DPArchitectures, de Michèle Champenois, 360 pages, 500 illustrations, Edition bilingue, traduction Gammon Sharpley, Editions Norma, octobre 2016. 45 euros.
(2) Groundscapes – Autres topographies, de Dominique Perrault, 208 pages, 260 illustrations, Editions HYX, 25 euros. Edition Française / edition anglaise.