L'étoffe des héros
Par Francis Rambert
Cette expérience unique de tissage à grande échelle et sur une grande variété de supports s'inscrit dans le droit-fil d'une logique d'expérimentation et ne ménage pas ses effets. Le premier effet est graphique: recherche de texture, de transparence, de moirage. La maille protège autant qu'elle suggère et permet de voir sans être vu. A sa manière Perrault revisite le moucharabieh... Dans ce jeu de trames, la lumière s'amuse des subtilités qu'offre le mot « filtre ». Prenons l'exemple de la maille spiralée, celle qui habille les pignons des tours sur 80 mètres de hauteur. Les trous des mailles laissent passer la lumière naturelle qui s'entrecroise avec le caillebotis des marches d'escalier. Quant à la lumière artificielle, elle se trouve spectaculairement réfléchie par un grand «tablier de boucher », ce rideau de scène argenté de l'auditorium qui renvoie au lamé de certains costumes. Le second effet est d'ordre phonique. Cette maille qui capte la lumière piège aussi le son, ainsi on ne compte plus les écrans acoustiques ni les batteries de polochons acoustiques en métal équipant de nombreux espaces de la bibliothèque. Ces grands rouleaux comparables à des bigoudis sont suspendus au-dessus de la tête des lecteurs. Le troisième effet s'avère pratique.
« La maille métallique nous permet d'avoir une continuité de matière, sans rupture sur des centaines de mètres carrés» résume Perrault. En témoigne cette peau de métal qui habille, toujours sans faire un pli, les plafonds puis les murs de béton de la grande salle de lecture. Et l'une des pl us spectaculaires applications reste l'immense trémie qui conduit à la salle des chercheurs, ces privilégiés qui, coupés du monde, ont l'esprit dans les livres et la tête dans la forêt plantée au coeur du projet ... Les parois de cet espace vertigineux sont revêtues de gigantesques cottes de maille.
Une tapisserie moderne et monochrome qui ajoute à la dramatisation de l'espace. Mais à l'évidence toute cette démarche vise un autre but : gommer le style, la forme, et toute l'idée de design. À voir ces quatre tours quasi aveugles (car doublées de bois), il est difficile de contredire Perrault sur sa théorie de l'effacement, celle qui préconise d'« évacuer la notion de façade ». Sur ce plan, le complexe sportif de Berlin est exemplaire. La peau des deux équipements semi-enterrés, le vélodrome et la piscine, est unitaire et métallique. Seuls les effets de brillance varient en fonction de la géométrie, le rectangle joue avec le cercle. Le toit comme les façades se composent des mêmes éléments de métal tissé. La « cinquième façade» l'emporte ainsi sur le reste, de puissants ressorts maintiennent la maille à l'horizontale. Le cylindre de 142 m de diamètre est le support de reflets étonnants suivant la course du soleil. « La fiabilité de ce matériau est exceptionnelle, affirme Perrault, on obtient un degré de performance à chaque mètre carré, rien n'est approximatif. »
AA.VV, With, Barcelona-Basel, ACTAR / Birkhäuser 1999.